De l’autre côté du bureau : quand un RH cherche un job dans un autre secteur.

Petit retour d’expérience de ma période de recherche d’emploi lors de ma reconversation pro (RH vers Sûreté & Sécurité) en 2019.

Ou les conseils que je me serais donnés.

Humilité

T’as 2 masters ? Des certificats interuniversitaires ? Des certifications professionnelles ? Une expérience combinée dans des activités et des secteurs différents, et ce à l’international ? Tu présentes bien et tu as tout d’un jeune cadre dynamique qu’on pourrait facilement affubler d’un titre de « disruptif » ?!

On s’en fout. (Cordialement)

Parce que oui, tu vas vivre la même chose que tout le monde, c’est à dire :

  • Des heures à screener les sites du Forem, Indeed, Linkedin, … en te disant que « bon, celui-là si jamais … ouais faudra bien … ». Tu vas même considérer des jobs dingues avec des excuses bidons, des trucs absolument inconsidérables quand on y réfléchit deux secondes, tels que « alors oui bon, c’est à 2h30 s’il n’y a pas de trafic, c’est vrai. Mais (!) c’est bien payé et si le projet me botte vraiment, je pourrai peut-être m’épanouir dans cette start-up ! J’ai qu’à dormir hors de chez moi 2 ou 3 nuits par semaines et … » NON, juste non.
  • Répondre à plein d’offres, n’avoir que peu de retours et la plupart négatifs, sans explication. Rien, même si tu remplis aussi ces fichus « atouts » qui pullulent dans les offres d’emploi, genre « être un Jedi polyglote est un sérieux atout pour notre organisation ». Bien entendu, tu avais stratégiquement ajouté le gestionnaire du dossier de recrutement sur Linkedin avant de répondre à l’offre. Mais évidemment, quand tu le contacteras poliment avec ton 15e Dan en assertivité pour essayer de comprendre les raisons du refus, ben t’auras pas de réponse parce que … je ne sais pas pourquoi en fait, je ne vois aucune bonne raison de ne pas faire un suivi de candidat … mais c’est comme ça.
  • Te pointer à des rendez-vous très très loin où tu t’entends dire que « on a vraiment apprécié votre candidature spontanée et qu’on voulait absolument vous rencontrer, même si en vrai on n’a aucun poste à pourvoir pour le moment… par contre on garde contact hein ! C’était chouette ! »
  • Peut-être que tu devras aussi passer par un assessment center. Et là, même si tu sais ce que c’est, même si t’es drillé à toute une partie de ce jeu (de dupes, parfois…) et même si t’y vas en confiance … Peut-être qu’on te dira après 1/2 journée de tests que « tu as l’air d’être intelligent et prêt à entendre une vraie critique constructive » alors que toi tu penses « non, je suis prêt à entendre que j’ai le job… », et alors on t’expliquera pendant une grosse demi-heure pourquoi « tu n’es pas du-tout la bonne personne au point que je ne comprends même pas qu’on t’ait envoyé ici dès le départ… ». Einstein avait raison, ça peut être long une demi-heure.
Photo by Amir Geshani on Unsplash

Voilà qui te questionne dans tes fondamentaux : Ai-je vraiment les compétences que je pensais avoir ? Est-ce que je suis incapable de montrer qui je suis vraiment ? En fait, est-ce que j’ai pas juste eu de la chance jusqu’ici et qu’à partir de maintenant je vais goûter aux vrais emmerdes de la vie professionnelle ?

Quoi qu’il en soit, toi qui étais de l’autre côté du bureau, qui pensais tout savoir de ce qu’était un recrutement et qui te voyais déjà devoir trier les offres qui se bousculeraient dans ta boîte mail parce que « bon, quand même … j’ai un profil assez atypique et les RH je gère! », eh bien : Bienvenue dans la vraie vie où tu n’es pas meilleur que les autres.

C’est pour le moins rafraîchissant, tu verras.

Réseau

Alors, tu étais un RH plein d’idéaux avant ? Goûte maintenant à ton propre médicament !

Tu le savais au fond de toi que « la plupart des process dans les boîtes c’est pas top, et que souvent dans les RH ben c’est encore pire … ». OK, sois honnête avec toi-même : avoue que ça a même vachement joué sur ta reconversion !

Mais avant tu te disais que, au mieux, tu luttais contre ces problèmes (toi !),et au pire que tu en étais une des causes mais que « bon c’est le système qui est pourri mec, c’est comme ça, voilà … ». Mais là, aujourd’hui, tu en es la victime et ça, ben ça change tout.

Car oui, nous vivons une période surréaliste où :

  • Les gens que tu rencontres en interview te disent « alors … racontez-moi un peu … », parce qu’ils n’ont jamais parcouru ton CV avant de t’asseoir devant un mauvais café.
  • Un responsable de plusieurs dossiers te dit parfois que « ton profil est intéressant, c’est la première fois que tu postules chez nous ? » et que tu es obligé de répondre que « en fait non : je suis au stade 2 du processus de recrutement sur ce job là, au 1er sur ce job là et sur ces deux là je n’ai encore eu aucune réponse… Mais je suis sûr que ça ne saurait tarder puisque c’est vous le responsable de ces dossiers aussi … »
  • Un responsable de département avec qui tu arrives à t’entretenir en passant par la fenêtre quand on t’a fermé la porte au nez te dit « Et vous me dites que vous avez postulé ici et qu’on vous a dit que vous ne conveniez pas ? Je trouve que vous convenez moi … Qui vous a dit ça ? » sur quoi tu te mords la lèvre pour ne pas répondre que c’est « cet enfoiré de X qui est entré en réunion juste à côté du bureau où nous sommes là maintenant tout de suite où il continue à faire semblant de bosser pour justifier son salaire scandaleux ».
  • Un autre responsable de département qui te dit que quand « Ah oui mais non quand tu veux postuler chez moi, mieux vaut m’intercepter sur le parking entre mon bureau et ma voiture, parce que de très nombreux CVs très valables ne passent jamais la barrière des RH ».

Sur ces tristes constats, une conclusion s’impose : bichonne ton réseau l’ami !

Photo by Clarisse Croset on Unsplash

Parce que demain, après cette expérience de postulation exhaltante, ben presque 100 % de tes activités seront dues à ton réseau :

  • Une société pour laquelle t’as travaillé par le passé qui te remet ses activités
  • Un contact Linkedin qui passe par toi suite à tes publications sur le monde de la formation en région liégeoise
  • Un ami, celui qui a déclenché ton pivot pro, qui t’apporte du business en plus de faire tourner ton CV auprès de tout son propre réseau et ainsi te permettre de travailler en freelance pour une organisation de référence en sûreté !
  • Une équipe universitaire qui planche sur projet fiabilité & safety et que tu rejoins après les avoir rencontrés lors d’un projet antérieur de partenariat

Sans compter que absolument l’entièreté des entretiens en face à face avec quelqu’un pendant ta recherche d’emploi ont abouti parce que (et uniquement parce que) ton CV aura tourné en interne de main en main, via-via.

Le réseau, mon gars, c’est-la-clé.

Lisibilité

C’est pas toujours simple d’être de ces gens au profil éclaté qui savent jamais trop quoi répondre quand on leur demande ce qu’ils font… Tu te retrouves à dire des conneries du genre « Ca dépend du jour et de l’heure » ou « Bah un genre de slasher hyperactif » ou encore « Multi-entrepreneurs, mais j’ai aussi plusieurs casquettes salariées… ». Bref, c’est pas clair. C’est pas spécialement de ta faute hein. C’est pas clair parce que c’est de facto complexe. En revanche, si tu sais faire plein de trucs, c’est parce que t’as plein de compétences. Et ça, non seulement c’est top, mais en plus c’est cohérent avec un parcours de slasher / multi-entrepreneur/toussa toussa.

Le problème, c’est que là, tu cherches du taf, alors il va falloir convaincre… Et on ne convainc pas avec quelque chose de flou. Tu devras donc être exhaustif et direct, détaillé et structuré, sérieux et créatif, pointu et ouvert … Oui, on dirait la baseline d’un café Nespresso.

Bref, tu vas devoir expliquer l’ensemble tout en restant compréhensible : Good luck.

C’est donc le moment pour toi de choisir entre 2 stratégies :

  1. Rentrer dans les cases : pour ça, tu vas probablement tenter un CV one-pager (ou two, si tu oses), parce que c’est plus convenu. Le problème c’est que tes jobs partent dans tous les sens et que t’as peut-être fait plein de formations au point d’éclipser tes expériences, ce qui ne rend pas justice à ton vrai parcours professionnel. En réalité tu as de nombreux statuts, sous lesquels se cachent de multiples métiers, dans lesquelles tu réalises 1000 activités et tâches différentes et ce pour un grand nombre de clients très variés… Par conséquent, si tu choisis cette option, tu te demanderas forcément si on voit bien qui est le vrai toi et quelle est ta vraie valeur ?
  2. Sortir du lot : si tu te trouves différent et que tu veux l’assumer, voire le promouvoir, tu peux aussi te la jouer « fuck it, j’y vais all-in! ». Alors tu envisages ta recherche d’emploi comme une grosse campagne de com’ ! Pour ton CV, tu fais un truc dingue, un truc de 11 pages, tu tables sur tes compétences que tu classes et mets en avant, tu payes même des graphistes pour te faire une mise en page de malade, t’as une version web et une version papier-imprimé-relié sur du 110 grammes mat, … Mais être différent, ce n’est pas toujours bien vu … et ce n’est même pas toujours prévu ! Es-tu sûr que ton CV puisse être uploadé sur les plateformes d’emploi ou les pages jobs de tes entreprises targets ? Et comme tu as envisagé une structure tout à fait inhabituelle de ton CV, es-tu sûr que les gens vont comprendre ? Et s’ils ne te demandent pas ta belle version print et qu’ils impriment eux-même ton CV, non seulement ça va leur bouffer une demie cartouche, mais en plus le résultat ne risque-t-il pas d’être très peu convaincant ? Alors si le design a de la gueule, c’est bien ! Mais attention à la practicité et à être limpide ! Par conséquent, si tu choisis cette option, tu te demanderas forcément si on voit bien qui est le vrai toi et quelle est ta vraie valeur ?
Photo by Elijah O'Donnell on Unsplash

Si t’as suivi ou donné des formations en recherche d’emploi, tu sais bien qu’il y a des ficelles genre « Viens habillé en bleu car ça inspire confiance et statistiquement tu as plus de chance de décrocher le job » ou « une lettre de motivation est toujours envoyée en pdf et doit contenir telle et telle parties et formules de politesse » blah blah blah… Mais en vrai, on sait tous qu’il n’y a pas de religion dans la manière de postuler, que des mecs décrochent des jobs en envoyant une boîte de donuts ou en faisant un film d’animation avec 824 polaroids !

Alors clairement n’hésite pas à te lancer dans un truc original genre un mail où tu te vends tout en délirant sur ta non-compétence sportive, ton affinité particulière pour le houblon et en faisant des blagues que tu sous-titres toi-même avec le « tudumts !🥁«  de la batterie… mais ne le fais que si et seulement si c’est cohérent avec le job et/ou la boîte que tu cibles et si et seulement si tu es très sûr de toi. Parce qu’être original, c’est comme être drôle : il ne faut se lancer que si on est vraiment certain! Dans le cas contraire, il vaut largement mieux être classique et bien clean, plutôt qu’original et pourri.

Patience

Peut-être que tu n’as encore rien trouvé.

Et tu t’inquiètes parce que, même si tu as la chance d’avoir plusieurs pistes, à l’heure actuelle ce sont plein de statuts « En attente de réponse » accolés à leur inséparable action « À recontacter le … » qui remplissent ton tableau de suivi. Là, ta réalité, c’est que tu n’as rien signé et tu te demandes « Mais en fait, je vais tenir combien de temps sur mes économies si ça se prolonge? ».

Peut-être même qu’un « done deal », un contrat pas signé mais certain à 99,99999%, vient de capoter ce vendredi, alors que tu devais commencer ton CDI, ta nouvelle vie, lundi. Il restait juste « une formalité », comme ils disaient.

En plus c’est dur, parce que tu t’es déjà fait plein de films sur ce que ta vie professionnelle serait genre « OK je serai en costume, mais je vais mettre une figurine POP sur mon bureau pour quand même avoir un côté geek qui me ressemble ! », voire même des films sur ta vie personnelle du style « Bon, qui dit changement de boulot dit changement de vie : elle est où la salle de sport la plus proche du taf ? ». Ca n’aurait sans doute pas duré, mais tu y as un peu rêvé quand même.

Mais ça va aller, parce que le lendemain d’un refus, un ami te tendra une perche que tu saisiras au vol : une journée portes-ouvertes avec des employeurs potentiels, il faudra y aller directement parce que tu auras toujours tes CVs dans ton sac, même si t’es en route pour un examen à passer pour ta Nième formation, même si t’es habillé en jeans et en veste en cuir avec une casquette vissée sur ta tête et tes piercings bien en vue. D’ailleurs, au fond ce que t’en penses c’est que « C’est pas grave, merde à la fin, c’est moi qu’ils engagent et ce look ben c’est moi ». Alors tu vas y aller, parce que tu sais que les opportunités, ça se saisit, et que la patience, c’est bien, mais parfois c’est maintenant ou jamais.

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Tu as lancé tellement de perches que tu te retrouves à penser : « Si rien ne mord, c’est la merde, et si tout mord, c’est la merde aussi … mais au moins ce sera un bon problème ! ». Tu sais quoi ? Tout va peut-être bien mordre! Et là tu auras l’embarras du choix.

Vas-tu choisir une seule des options ? Plusieurs ? Toutes ?

Décideras-tu de voir ta réussite comme une chance (« Waw mais quel bol quand même ! »), comme du mérite (« J’espère bien ! Après tout ce que j’ai mis en place… ») ou encore comme le destin (« Mais quelle syzygie de dingue! »)… Ce choix aussi t’es propre, mais n’oublie pas le premier point de ce billet 😉

In a nutshell

Alors souviens-toi toujours pendant ta recherche d’emploi que :

  • tu vas être frustré
  • ça ne va pas être simple
  • tu dois faire des choix, et souvent les bons choix sont évidents à contempler, mais difficiles à assumer
  • mais au bout du compte, ça ira…

Alors humilitélisibilitéréseau et patience seront les maîtres mots de cette période où tu te bats sans trop savoir ni pour quoi, ni contre quoi.

Courage à toi !

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